04 Nov Claire Vallée, jurilinguiste passionnée
Sous les feux de la rampe
Claire Vallée, jurilinguiste passionnée
Propos recueillis par Barbara McClintock, MA, traductrice agréée
J’aimerais remercier Mme Claire Vallée, membre de l’ACJT, qui s’est gentiment prêtée à l’exercice d’une entrevue. Claire, qui a environ trente-cinq ans d’expérience en droit et en traduction juridique, dont une carrière distinguée de quatorze ans comme jurilinguiste à la Cour suprême du Canada, a pris une retraite bien méritée. Sa grande expérience mérite d’être connue des membres de l’ACJT.
Juriscribe:
Nous savons que le bénévolat est important pour vous. Claire, vous avez été membre de l’ACJT pratiquement depuis sa création. Vous avez aussi été membre du Conseil d’administration de l’Association, y occupant différentes fonctions. Pourriez-vous nous décrire les raisons pour la fondation de l’ACJT et l’histoire des circonstances qui ont mené à sa création ?
Je n’ai pas d’inclination particulière pour le bénévolat, mais il s’est imposé de lui-même. C’était une question d’engagement et de conviction. Le plaisir des rencontres aussi.
C’est dans le cadre d’un dossier commun d’appel public à l’épargne que Michèle Patry (Stikeman Elliot) et moi (alors chez Heenan Blaikie) nous sommes rencontrées. Toutes deux étions isolées comme avocates-réviseures dans un monde d’avocats « traditionnels ». Nous ne nous pouvions nous identifier ni au Barreau, ni à l’OTTIAQ.
Nous avons eu l’idée d’un regroupement au sein du Barreau du Québec, à l’instar des avocats en immigration, par exemple. Nous avons donc lancé un appel dans le Journal Barreau. Or, les réponses sont essentiellement venues du Centre de traduction et de documentation juridiques de l’université d’Ottawa. Nous franchissions ainsi la frontière provinciale, mais aussi professionnelle, car il y avait parmi les intéressés des notaires et des diplômés en droit.
Si bien que l’ACJT a été créée à l’échelle canadienne. Et pour refléter au mieux la réalité du milieu, elle a prévu deux catégories : juriste-traducteur et traducteur juridique.
Il a été question de prévoir une forme d’agrément par voie d’examen, mais le projet a été écarté à l’issue d’une assemblée houleuse…
Normand Bélair a été le premier président de l’ACJT. Mon long règne n’est intervenu qu’après… de 1990 à 2005 (je crois).
Juriscribe:
Pourriez-vous décrire brièvement votre cheminement professionnel ? Qu’est-ce qui vous a amenée à la traduction juridique ? Vous avez travaillé pour le cabinet Heenan, au début des grands services de traduction juridique, n’est-ce pas ?
Après le stage du Barreau et une année dans un petit cabinet d’avocats de Montréal, j’accepte un poste de traductrice juridique à la section judiciaire de l’ancien Secrétariat d’État, à Ottawa. Premières pérégrinations entre la capitale canadienne et Montréal, pendant deux ans. C’est pendant cette période que j’acquiers ma formation en traduction, sur le tas.
En 1986, j’entre chez Heenan Blaikie comme avocate-traductrice, puis réviseure lorsque le service s’élargit. Puis, brièvement en 1990, je passe chez McCarthy Tétreault, puis plus tard la même année, je retourne au fédéral, mais à Montréal cette fois. Au Bureau de la traduction, je finis par être attitrée aux jugements de la Cour suprême. J’y reste 14 ans. En 2004, je reprends mon baluchon pour aller travailler à la Cour suprême la semaine à Ottawa, puis rentrer chez moi le week-end. Ces 14 autres années ont été un bonheur, rien de moins. Un milieu de travail d’exception, respectueux et stimulant.
Juriscribe:
Avez-vous connu tous les changements technologiques, des balbutiements de l’informatique jusqu’à la traduction automatique neuronale (TAN) ?
J’ai connu la traduction manuscrite, celle tapée à la machine (électrique, quand même…), au dictaphone, grâce à la reconnaissance vocale. Évidemment, traduction et révision peuvent commander des moyens différents. Comme jurilinguiste à la CSC, je travaillais avec stylo et papier.
(Je ne connais pas la TAN.)
Quoi qu’il en soit, chaque moyen présente des avantages et des inconvénients. Pour traduire, le dictaphone, par exemple, favorise la fluidité. Le travail intensif à l’ordinateur cause des problèmes musculo-squelettiques. Une variété de moyens est l’idéal.
Je pense que la forme ne devrait pas l’emporter sur le fond.
Juriscribe:
À votre avis, quelles sont les qualités des meilleurs traducteurs ? Quels conseils donneriez-vous aux nouveaux traducteurs et traductrices juridiques ?
L’excellence en traduction ou en jurilinguistique (surtout vers le français) commande discernement, vigilance, clarté, naturel, concision, ainsi que perfectionnement et approfondissement continus de la langue française.
Je recommanderais aux nouveaux et nouvelles dans le domaine de s’abreuver à de bonnes sources en français, de tenir la distance avec le texte de départ afin de ne pas tomber dans le mimétisme et la traduction des mots. Cultiver le sens de la langue et toujours tenir compte du contexte, qui est riche en information. Savoir que les pièges sont légion et qu’il faut les éviter. Les juristes ne doivent pas oublier les notions de droit lorsqu’ils se tournent vers la traduction.
Ouvrir des ouvrages aussi, pas seulement consulter à l’écran. Ça permet de voir des choses qu’on ne voit pas lorsqu’on va directement à ce qu’on cherche.
Juriscribe:
En conclusion, quels sont les auteurs et les livres qui vous ont influencés ? Quels livres est-ce que nous trouverions sur votre table de chevet aujourd’hui ?
Les auteurs qui m’ont marquée : Robert Merle (Fortune de France), Claude Duneton (Rires d’hommes entre deux pluies), Henning Mankell (tous ses romans). Plus récemment, Sylvain Tesson (Dans les forêts de Sibérie, entre autres), un voyageur atypique qui écrit magnifiquement. Olivier Truc et les enquêtes de sa police des rennes. Le Bestiaire de Serge Bouchard, aussi.
Sur ma table de chevet, on trouve surtout des polars scandinaves, dont ceux de Gunnar Staalesen, un Norvégien rigolo malgré la gravité des sujets d’enquête. Et Sylvain Tesson, que j’adore.
19 octobre 2022